(Entretien fait en anglais, ensuite traduit vers le français, vérification grammaticale, syntaxique et logique faite par l'excellente équipe de Jean-Luc et Murielle, que nous remercions.)
le 29 avril 2006, Paris dans un petit jardin public près du Louvre...
Qui es-tu, et d’où viens-tu?
Je m’appelle Susan Sparks, et je viens de Los Angeles, en Californie. J’enseigne la salsa à Paris, où j’ai ma propre école depuis 1992.
Pourquoi es-tu partie de la Californie ?
Je suis partie de la Californie pour faire un stage de danse. C’était mon premier voyage à Paris. Je suis tombée amoureuse de la ville à l’époque, et je me suis dit : je vais essayer de réussir, de revenir, ce que j’ai fait. Ensuite, j’ai rencontré l’homme de mes rêves et le reste, c’est de l’histoire.
Raconte-moi un peu ta vie depuis le début, jusqu’au moment où tu es partie des Etats-Unis ?
J’ai suivi une formation de danseuse, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Je n’étais pas ballerine, j’étais danseuse de classique. J’ai démarré par le classique, puis le jazz, et ensuite j’ai enseigné des cours de jazz en Californie. Ma formation classique vient d’un prof qui avait une école à Pasadena, et j’ai été formée en jazz par un prof dans la « Valley », à Hollywood.
Voyageais-tu dans le cadre de ton travail de danseuse ?
J’ai beaucoup voyagé, j’avais du travail en tant que danseuse autour des Etats-Unis, et en Europe.
Donc depuis le départ, tu as toujours travaillé comme danseuse, tu as toujours vécu de cette passion ?
Oui.
Et même petite, tu voulais être danseuse ?
Oui. (Sourire). Je ne suis plus danseuse maintenant, je suis professeur, c’est une suite qui me plait.
Raconte-moi ta formation aux Etats-Unis et explique-moi ta transition entre le classique et le jazz ?
C’était obligé, à l’époque ce n’était pas possible d’aller prendre des cours de jazz, il fallait être formé au départ dans la danse classique, il fallait respecter cette progression. Cela donne une base fantastique. Je pense à quelques profs de Paris qui ont décidé de prendre des cours de classique. Pour moi, ils ne perdront pas leur temps s’ils pensent que cela peut les rendre meilleurs danseurs. Personnellement je pense que c’est la meilleure base que l’on puisse avoir, peu importe le style de danse que l’on opte après.
Ton approche à la danse est une expression physique, explique-moi ta relation avec la musique ?
J’adore la musique. Je n’ai jamais entendu de musique ne me plaisant pas. Quand j’étais petite, nous avions une excellente audiothèque, j’écoutais de tout, du jazz à la comédie musicale, de la musique africaine, des chansons folkloriques israéliennes, beaucoup de ‘world music’. Mon père m’a dit que je pouvais tout écouter, il fallait juste le ranger après.
Quels sont les origines de ta famille ?
De tout, un bon mélange, comme beaucoup d’Américains.
Comment ton choix d’être danseuse était-il perçu par ta famille ?
Très bien, ils m’ont soutenu tout au long de ma formation.
Dans ta biographie sur ton site, tu dis que tu as étudié avec Bill Heiden ?
C’était un danseur qui a étudié avec Jack Cole et il a utilisé des percussions latines dans ses cours. C’était la première expérience que j’avais avec la musique latino. Je vivais aussi dans un quartier qui était principalement latino, ils faisaient de grandes fêtes dans le jardin public. Aujourd’hui, on ne peut plus faire cela, mais à l’époque ils faisaient la fête et j’y participais. Ils passaient de la musique latine, précurseur de la salsa. Quand je suis partie de Los Angeles, il y avait très peu d’endroits où on pouvait aller pour danser la salsa.
A l’époque l’énergie principale était à New York, et aussi si tu es partie vers 1992, c’était un moment un peu creux pour la salsa.
Oui. Les deux styles sont très différents aussi, ils ne démarrent pas sur le même temps de la musique, et le style LA est beaucoup plus dramatique, comment dire : Hollywoodien. (Sourire).
Raconte-moi en un peu plus sur Jack Cole, à travers ton expérience avec Bill Heiden ?
Je n’ai jamais connu Jack Cole et je ne l’ai jamais rencontré. Mais Bill a étudié avec Jack Cole, et c’était lui mon prof de jazz. Il était extrêmement musical, et il s’est servi des percussions latines dans son enseignement. C’était la première fois que j’entendais ce type de musique, et quand je l’ai réentendu, je me suis dit, voilà, maintenant on bouge différemment dessus, il y a des pas différents. Maintenant on danse avec un partenaire et non plus en solo.
Quand a-tu démarré à danser la salsa ?
Dans les années 80. Il y avait un très bon prof dont personne ne parle plus maintenant, Arciaga, qui avait un studio de danse dans le West Hollywood. Pour autant que je sache, il était le premier prof de salsa à Los Angeles.
C’était le LA style que nous connaissons aujourd’hui, on One ?
Oui. Il était le partenaire d’une danseuse très connue à Los Angeles. Il utilisait des percussions live dans ses cours, ce qui était formidable. Un ami m’a parlé de son cours et m’a dit, il faut que tu y ailles, donc j’y suis allée. C’était très bien, il invitait souvent des musiciens, c’était un homme très classe, un très bon danseur, c’était du LA style on One. Il connaissait aussi d’autres danses, merengue, chachacha, bolero….
Tu travaillais à l’époque en tant que danseuse ?
Je faisais du free-lance en tant que danseuse.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Tu vas dans les auditions, et s’ils t’aiment, ils te choisissent. Cela pouvait être pour des spots publicitaires, pour un rôle dans un spectacle, pour des galipettes acrobatiques, pour tout.
Comment se sont passés tes débuts en salsa à Paris?
C’était 1992. Il n’y avait pas de scène. Il y avait un peu de live, mais il n’y avait pas de danseurs, ou, s’il y avait des danseurs il y en avait très peu. J’ai démarré les cours de danse à la Coupole en 1992 avec Mambomania. Je suis venu voir Laurent Erdos, et je lui ai dit : Laurent, ta musique est excellente, mais il n’y a personne qui danse vraiment là-dessus. La majorité des personnes faisaient un truc inspiré de two-step, bougeant d’un pied à l’autre. Il y avait quelques couples latinos, mais la majorité des personnes ne savaient pas comment bouger avec la musique. Je lui ai dit, j’aimerais bien enseigner un cours de salsa avant tes concerts. Et il m’a répondu, c’est bien. Donc, nous avons fait de l’On-Two, parce qu’ils jouaient beaucoup de mambo. Quand j’ai commencé à enseigner, j’ai enseigné le on-Two. Je peux danser on-two, on-one, Cuban style… (Sourire).
(Elle me montre un flyer pour un cours de danse à l’époque, avec deux cours de salsa-mambo).
C’est intéressant, d’après ce que j’ai entendu, il y avait une communauté colombienne, mais la première salsa enseignée était sur le un.
Quand je suis arrivée, il n’y avait pas beaucoup de colombiens…
Qui venait aux concerts ?
Des parisiens.
Et Mambomania a joué une fois par semaine, un concert live par semaine ?
Oui. J’étais à la Coupole pendant 10 ans, et le dernier producteur a été là avec moi pendant six ans, et une des choses qu’il mettait en avant, c’était le live. Il programmait un concert chaque mardi. Il a mis, non seulement l’emphase sur la danse, mais il s’est aussi beaucoup appuyé sur le live.
Cela semble un rêve comparé à la scène de maintenant.
Par rapport au passé, il n’y a presque plus de live.
Donc tes élèves étaient pour la plupart des français, et tu as commencé en enseignant le mambo ?
J’ai commencé à enseigner sur le deux, mais pas le deux d’Eddie Torres. (Elle se lève et esquisse les deux styles différents pour illustrer). Je pense que tous ceux que je connais à New York, Addie, Nelson, ils ont tous adoptés la base d’Eddie. J’ai commencé à enseigner sur le deux parce que Mambomania jouait une musique qui était un peu rétro, et c’était du mambo, tu pouvais bien entendre le deux, et surtout le six, et cela te donne envie de break vers l’avant sur le six. Avec la musique moderne, la musique colombienne, la timba cubaine, tu n’entends pas le deux, tu entends le un. J’ai changé parce que mon goût pour la musique s’adaptait plus vers le nouveau que vers l’ancien, et aussi parce que j’adore ce qu’ils font à LA. J’adore l’énergie derrière cette danse, et j’adore ces acrobaties, j’aime tellement ce qui fait Edie, Alex DaSilva, Mas Salsa Brava, je les trouve superbes. J’aime bien cette énergie. C’est une danse avec un très haut niveau de force, la musique est rapide et il faut être en dedans des mouvements.
Mais c’est drôle, quand je pense à une formation classique, cela me semble plus correspondre à la fluidité du mambo ?
Mais il ne faut jamais oublier les allegro avec tous ces pas, c’est pas du tout lent – il faut marquer tous ces temps.
Oui, faut que j’avoue que j’ai arrêté le classique juste après la cinquième position. (Sourire). Quand tu as démarré au Centre de Danse du Marais en 1991, avant les cours à la Coupole, comment as-tu présenté le concept de la salsa ?
J’ai dit que je voulais enseigner de la salsa, et la soeur de la personne qui est propriétaire du studio gère un restaurant Tex-Mex, et elle m’a dit : Susan, la salsa est sur la carte du resto de ma soeur et non pas sur un programme de danse. Nous sommes tous indépendants là-bas, donc c’est de notre responsabilité, elle était très gentille et elle m’a dit, vas-y, fais-le, et les gens sont venus. C’était juste à cette époque que Mambomania est venu, il y avait Azuquita, il est là depuis toujours, c’est un excellent musicien, il a vu les deux vagues, la première et la deuxième.
Quand démarrait cette deuxième vague ?
Probablement en 1992. A la Coupole, c’était incroyable. Il y avait tellement de monde. Le record pour un cours a été de 156 entrées. J’enseignais sur une estrade et les élèves étaient sur la piste, du bar jusqu’à la porte.
Quel était ton planning à l’époque ?
Deux cours au Marais, et un à la Coupole. La différence, c’est que les gens qui vont dans une école de danse savent qu’ils vont devoir travailler un peu car c’est un cours de danse. Quand ils vont dans un bar, c’est un peu différent. Ce n’est pas qu’il y ait moins de pédagogie, c’est dans la façon de présenter le cours, parce qu’ils sont là pour s’amuser.
Avais-tu des élèves réguliers à la Coupole ?
Oui, et s’ils voulaient continuer, ils pouvaient prendre des cours au Centre de Danse du Marais.
Quels sont les changements majeurs que tu aies vus depuis 14 ans que tu enseignes à Paris ?
J’ai commencé et il n’y avait pas de danseurs, maintenant il y a beaucoup de danseurs. Je me rappelle la première fois où j’ai montré ça (elle me montre une caresse des cheveux tout droit issue d’un lady’s styling), mes élèves ont rigolé, les filles ne voulaient même pas essayer. Elles ne voulaient pas essayer parce qu’elles ont été dans d’autres cours, et elles ne l’avaient jamais vu. Mais maintenant qu’elles ont vu du Lady’s styling, c’est beaucoup moins étrange. Avec les shines aussi, quand j’ai commencé à faire ça, ils ont dit, mais qu’est-ce que c’est que ça ? Avec le temps, ils ont vu qu’il n’y avait pas seulement moi mais que beaucoup d’autres personnes le faisait, donc ils comprirent. Cela s’est développé en continu. Je ne vois pas de déclin.
Qui étaient tes élèves ?
C’étaient des français, des étudiants, des professeurs, ils travaillaient dans des bureaux, ils venaient de toutes les couches sociales. C’étaient des hommes et des femmes, il y avait un bon équilibre, et parfois il y avait plus d’hommes que de femmes.
Quelles sont les différences entre l’enseignement dans un bar, et dans une classe ?
Dans le bar ils sont plus animés, ils sont venus pour passer un bon moment. Dans la classe, tu peux structurer un peu plus, il y a moins de monde, et il est possible de faire des choses d’une semaine à l’autre.
Une chose qui semble arriver à la scène salsa parisienne est une sorte de fracture entre les différents styles. D’après toi, quand est-ce que cela a commencé, et pourquoi ?
Cela a commencé quand les profs voulaient se différencier les uns des autres, donc ils se sont spécialisés. Je pense que c’est la loi du marché qui engendré cette fracture.
Raconte-moi ton expérience de la musique live.
Le live est merveilleux, il n’y a rien qui lui ressemble. Le live, c’est du live et peu importe la qualité des enregistrements de Celia Cruz, ce ne sera jamais comme Celia Cruz en live, paix à son âme, quelle incroyable chanteuse. J’adorais la musique live, mais bien sûr, c’était très cher.
Combien coûtait une entrée à la Coupole à l’époque ?
Je n’ai aucune idée, parce que je ne faisais pas partie des décisionnaires dans ce domaine, c’était le travail du producteur. Je travaillais indépendamment de la Coupole et du producteur. Romero Diaz était le dernier producteur avec lequel j’ai travaillé. Mais avant Romero, il y en a eu quatre ou cinq. D’abord, il y avait Mambomania avec Laurent Erdos, ils étaient plus qu’un ‘house band,’ c’était un groupe d’artistes qui ont présenté un spectacle. Ils ont Abanico maintenant (Ndlr : Abanico n’est plus) mais c’était longtemps avant le début d’Abanico. Laurent a négocié directement avec La Coupole. Après Laurent, il y avait un autre producteur, un groupe qui s’appelait Monica Lypso, une chanteuse américaine, une très bonne musicienne, qui s’est spécialisée dans la musique calypso des îles, et elle a fait aussi de la salsa, je n’ai plus de ses nouvelles depuis un moment. C’était très bien avec elle. Après, il y avait un autre producteur, et je suis restée. J’ai décidé de mes propres tarifs, la Coupole était le décor, cela a ramené des gens au club. Je venais avec ma propre caisse et quelqu’un pour faire les entrées, et il y avait une part pour moi, et le reste pour le producteur et la Coupole. J’ai bien aimé cette façon de faire, j’étais entièrement indépendante, je ne travaillais ni pour la Coupole ni pour le producteur, nous travaillions tous ensemble. J’étais là-bas de 1992 à 2002.
Ils ont maintenu le rythme d’un concert par semaine pendant les dix ans que tu y as travaillé ?
Je me souviens de quelques nuits où il y avait juste un DJ et pas de concert, mais c’était très rare.
Qui étaient les DJs de l’époque ?
Il y en avait beaucoup, il y avait Natalia, il y avait les jumeaux « Los Gemelos », il y avait Dominique Batal, mais c’était avant, avant qu’il n'y ait des DJs de salsa comme maintenant. Il y a beaucoup plus de tout, maintenant, plus de profs, plus d’élèves, et il y a aussi plus de DJs. Mais la musique a toujours été très bonne, très variée.
Sauf que c’est rare maintenant qu’il y ait du live !
Oui, c’est supposé être la nueva era, mais tout ce qui est nouveau, c’est qu’il n’y a plus de musique live. (Sourire).
Sortais-tu à l’époque, raconte-moi un peu la scène ?
Je sors beaucoup moins dans les boîtes maintenant donc je ne peux pas me prononcer sur le présent. Mais avant Il y avait des concerts au Bataclan, à la Villette, je me rappelle y avoir vu Celia Cruz, il y avait un hôtel à Montparnasse qui avait parfois de bons concerts salsa, il y avait beaucoup plus de musique live qu’il n’y en a maintenant. Un des derniers bons concerts que j’ai vus était Puerto Rican Power. J’avais invité José Neglia et Averell Cornell ici pour un stage, et nous sommes allés voir le concert, et ils ont dansé devant le public, une danse improvisée. J’ai revu les photos hier. Nous sommes allés en backstage avec les musiciens, ils sont formidables, j’adore cet orchestre. C’était à Barbès. Regarde maintenant dans le Pariscope, lis le Zurban, regarde sous ‘World’, il y a une très petite rubrique maintenant.
Une autre évolution semblerait être le développement d’une population mélomane qui s’intéresse au latin jazz, donc nous voyons plus de concerts dans des lieux comme le New Morning, mais ce n'est pas nécessairement un lieu qui parle aux danseurs.
Il n’y a pas beaucoup de personnes qui aiment danser sur le latin jazz. C’est une forme d’art merveilleux. Je l’adore, je le force sur mes élèves.
Ce qui est peut-être un retour à ta formation d’origine, tu as travaillé avec Bill Heiden, qui a travaillé avec Jack Cole, et d’après ce que j’ai lu, il a été très important dans l’histoire de la danse américaine.
Il a travaillé avec Denis Shawn, ils l’ont accueilli et avaient un « vibe » du tiers-monde, un peu indien, c’était très bon. Il était aussi un très bon chorégraphe. Mais je n’ai pas travaillé avec lui, j’ai travaillé avec Bill Heiden. Je suppose que le seul héritage de Jack Cole que m’a transmis mon prof était le travail sur les isolations, c’est à dire, d’isoler un groupe de muscles et de les utiliser indépendamment ou en opposition à d’autres groupes de muscles. C’est très important pour améliorer la coordination et cela te fait concentrer sur chaque détail et chaque ligne du corps.
Quel est ton rôle dans la salsa parisienne ?
Je ne sais pas, j’enseigne et j’ai une école, j’enseigne depuis 1992, je n’ai jamais réfléchi à mon rôle. Comme ils disent, ‘je tape sur mon clou’ je continue de taper, je n’ai pas vraiment de projet.
Tu disais que tu avais fait la transition entre danseuse et professeur…
C’était si facile.
Danser est une façon de décrire une idée avec le corps, peut-être que cela peut aider à apprendre comment enseigner ?
Juste une pensée à propos des élèves : la plupart d’entre eux démarrent des cours pour trois raisons, tout ordre confondu : La première, ils aiment la musique. La seconde, ils veulent rencontrer des gens. Et la troisième, ils veulent apprendre suffisamment pour sortir et danser en boîte. Dans mon enseignement j’essaie de mettre l’emphase sur la connexion, la prise de main, le guidage, et le suivi dans les positions ouvertes et fermées. Quand ils ont acquis ces concepts et leurs applications à la chorégraphie, (les figures), les élèves peuvent commencer à donner vie à ces pas sur une piste de danse. Tout ceci peut faire un bon danseur. Mais qu’est-ce qui fait un danseur exceptionnel ? Un bon prof, une bonne base, un bon suivi, sûrement, mais surtout, c’est le résultat du talent et de beaucoup de travail…
Pour apprendre comment enseigner, j’avais déjà toute ma formation de danseuse, toute cette expérience, ce qui m’a beaucoup aidé avec la création des chorégraphies, en connaissant ce qui allait marcher sur une scène, les lumières, la musicalité…
Définis la musicalité ?
C’est probablement le rapport que quelqu’un a avec la musique, comment il exprime ce qu’il entend dans la musique. Il y a des personnes qui sont très accordées, tu les vois danser et ils marquent les instruments, tu te dis, comment ils ont fait cela ? Ils sont juste très bien accordés. Et puis il y a des danseurs qui traitent la musique comme si c’était du décor. Va savoir. Tu peux expliquer le solfège, tu peux expliquer la clave, et les breaks, mais je ne pense pas que tu peux vraiment enseigner la musicalité, tout comme tu ne peux pas vraiment ‘créer’ un danseur. C’est juste une chose de plus, qui est présente. Tu peux lui faire confiance, tu peux le guider, tu peux lui donner tout ce que tu as et le nourrir, mais avec les très bons danseurs tout comme les très bons peintres ou acteurs, il y a toujours cette chose de plus qui échappe à la définition et qu’ils ont à l’intérieur.
Qu’ils ne peuvent presque pas définir eux-mêmes !
Nope, mais ils peuvent le faire.
Dans ton travail avec Arciaga, tu disais qu’il amenait des instruments et des musiciens, est-ce que tu fais pareil dans ton enseignement ?
Parfois j’amène une clave.
En partant de ton expérience de la scène salsa à Paris, pourrais-tu dire pourquoi tu penses qu’il y a moins de live ?
Je pense que c’est probablement une question d’argent. Je pense que les musiciens, les danseurs et artistes doivent être bien payés. Je pense que les musiciens doivent être bien payés. Donc je pense que c’est juste une question d’argent.
Donc, ce n’est pas le public qui a évolué ?
Evolué ? J’espère, que si nous sommes en train d’évoluer, que nous évoluerons vers plus de live et non pas dans l’autre sens. (Sourire). Je pense que s’il y en a moins, c’est probablement une question de finances.
Dans quels endroits dans le monde as-tu enseigné ?
A Washington DC pour le congrès Salsaweb, j’ai enseigné à Barcelone, à Oslo et en Hollande. Quand je retourne à LA, c’est pour les vacances, et pour voir ma famille.
Dans ton enseignement, as-tu remarqué des différences dans la façon dont les gens apprennent, as-tu remarqué des différences entre des personnes de différentes nationalités. Est-ce que tu penses que la musicalité ou les styles d’apprentissage sont culturels ?
Non, je ne pense pas que ça soit culturel. La seule chose que je puisse faire c’est de prendre un morceau de musique et leur demander s’ils entendent la clave, s’ils entendent les accents. Le latin jazz est très compliqué mais la salsa est très simple, c’est baroque, quatre/quatre temps. Je les fais écouter tout ensemble, ils ne sont pas obligés d’apprendre le rythme du conga sinon tu les perds. Ils ne sont pas là pour apprendre en 10 minutes les 10 ans de solfège qu’un musicien a suivi.
As-tu étudié le solfège ?
Oui, j’ai joué du violon, du piano et de la guitare classique. Je jouais au lycée, mais c’était trop avec les cours de danse et l’école. J’ai décidé qu’avec la danse, j’aurais la musique en même temps.
En paraphrasant Eddie Torres, le danseur devrait être comme un instrument devant les notes.
Oui, tu peux te voir ainsi si tu as beaucoup de musicalité, c’est une sorte d’harmonie. Il faut écouter les accents. Mais encore, il faut écouter la musique, donc j’essaie de faire travailler mes élèves avec les chansons qu’ils sont amenés à entendre quand ils sortiront en boîte.
Montre-moi des exemples de musique que tu utilises dans tes cours ?
Elle sort son classeur de CDs, qui contient entre autres :
A tropical tribute to the Beatles
Puerto Rican power
Orchesta la Palabra
Milvio Rodriguez
Bioritmo
Latin Jazz
Ricardo Lemvo y Maquina loca
A compilation (indirectement de la part de SuperMario)
Après avoir dansé dans des lieux différents autour du monde, est-ce que tu peux nommer quel style ou différence distingue les danseurs de Paris du reste du monde ?
Je ne sais pas s’il existe un style à Paris, on peut voir des parisiens danser en LA style, NY style, à la Colombienne, brésilien, cubaine, mais je ne pense pas que Paris ait créé son propre style de salsa. LA a son style, New York a un style, les Cubains ont la despelote, et à Cali ils ont leur façon de danser.
Une fois, Josie Neglia m’a dit qu’elle dansait avec Alvaro dans un club à New York, et que quelqu’un était venu lui dire : Excusez-moi madame, mais vous ne dansez pas sur le rythme !
Je pense que c’est très bien qu’ici on trouve du tout et que personne ne viendra te mettre un PV et dire, vous n’êtes pas sur la musique – peut-être que le style de Paris est dans sa diversité, on peut y trouver de tout si on sait là où il faut chercher.
Comment parles-tu de la musique à tes élèves ?
Je leur fais écouter, j’essaie d’entraîner leurs oreilles afin qu’ils puissent écouter. D’abord, il faut qu’ils sachent comment entrer dans la musique, donc j’essaie de leur faire entendre le un, parce que je veux qu’ils démarrent sur le un. Il faut beaucoup de répétitions, il faut éduquer les oreilles. Ensuite, s’ils veulent aller entre les temps ou bien s’exprimer ou encore de doubler les temps, c’est autre chose, j’appelle ça la musicalité ou la musicalité avancée.
Quelle est la particularité de tes élèves ?
C’est un groupe mélangé, j’essaie de ne pas trop leur imposer, je n’ai pas l’intention de créer des ‘petits Susans’ ce n’est pas ce que je cherche à faire. Je voudrais qu’ils expriment quelque chose, s’ils ont quelque chose qu’ils cherchent à exprimer. Je fais des suggestions, je ne les oblige pas.
Combien d’élèves as-tu dans un cours habituel ?
Environ 20 élèves, parfois 30.
Sur combien de niveaux ?
Débutant, débutant moyen, moyen, et moyen avancé.
Depuis tes débuts, tu as ajouté des niveaux, mais le nombre d’élèves dans tes cours est resté homogène depuis 14 ans que tu enseignes ?
Oui, je dois faire au moins une chose de bien.
Et qu’est-ce qui va se passer avec la salsa d’ici dix ans ?
J’espère juste qu’elle continuera, on verra. Il y a des congrès à Cannes, Nice, Marseille et dans d’autres villes autour de la France, cela démarre toujours ainsi, dans la capitale et ensuite en province. Ce n’est pas un effet de mode, tout le monde prédisait sa fin, se demandait que serait la prochaine mode, mais elle ne va pas partir.
Ta vision de non française, d’américaine enseignant la salsa en France m’intéresse, il semblerait qu’il y a une longue histoire de personnes qui ne sont pas natives de France et qui y amènent la salsa.
Je n’en sais rien, je n’ai jamais pensé ainsi : je ne l’ai pas pensé à l’époque.
Comment t’identifies-tu maintenant ?
Je suis américaine ! J’ai encore un fort accent quand je parle en français.
Pourquoi la salsa, une culture qui n’est pas native de France, peut-elle faire tant d’effet ici ?
Elle fait rêver les gens, c’est une musique drôle, elle te fait bondir de ta chaise. Les gens aiment la musique, elle incite à la participation, c’est merveilleux.
Qui sont les salseros qui t’ont inspiré ?
Laura K, je la trouve excellente enseignante et une très jolie danseuse, et bien sûr Edie, qui est merveilleuse. Alex da Silva, je pense qu’il est un danseur formidable. Et bien sûr il y a tout New York, il y a tant de bons danseurs à New York, Nelson Flores, Eddie Torres. Et la Colombie aussi, il y avait un homme qui venait à la Coupole qui faisait tous ces jeux de jambes, et il y a la Cubaine aussi… j’aime tout.
J’éprouve énormément de plaisir à regarder mes élèves, quand ils ont un éclair, quand je vois quelqu’un qui a beaucoup de mal à capter une subtilité ou à progresser, c’est mon plaisir de les regarder réussir.
Comment construis-tu tes chorégraphies ?
J’écoute la musique. Je passe des heures avec la musique, et je commence à partir de là. Je sais toujours qui seront mes danseurs principaux, je connais leurs forces et leurs faiblesses, et je crée autour.
Tu ne te chorégraphies toi-même ?
Non, je fais la chorégraphie quand je fais un show avec ma compagnie, Dance Sparks. Nous faisons des shows au Mogador, au Casino de Paris et à la Coupole. On travaille toujours de temps en temps.
Parles-tu espagnol ?
Un peu. Mais je ne construis pas des chorégraphies sur des musiques avec des paroles, parce que je trouve que parfois, cela peut être devenir une compétition entre la danse et les paroles. Je choisis une chanson parce qu’elle me parle, et je la mets à l’arrière de ma tête. J’ai fait Men in Black au Mogador qui était un instrumental.
Qu’écoutes-tu tous les jours, en terme de musique ?
J’ai beaucoup de CD. Un jour, un de mes élèves, qui était venu chez moi pour une leçon privée, m’a dit : Mon Dieu, mais c’est la FNAC ici ! J’ai une bibliothèque de salsa, et d’autres choses aussi. J’écoute de la musique à la maison mais je ne me promène pas avec un iPod…
Que pense-tu des évolutions de la musique salsa ?
Parfois je la trouve un peu médiocre. Il y a beaucoup de reprises, comme dans l’industrie du cinéma. Mais il y a des groupes à Los Angeles, il y a de la bonne musique qui vient de LA. Je n’ai pas de crainte pour la musique. Je ne sais pas comment elle va évoluer, ni comment elle va progresser,
mais je sais que nous, danseurs, serons là, toujours en train de la suivre. (Sourire).
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