Guayacan, le 10.01.2006 au Cuba Compagnie
Ca fait combien de temps que tu travailles avec Radio Latina?
Ca doit être la quatrième année.
Il y a eu beaucoup de formules et d’horaires différents. Au début, c’était le vendredi soir en direct, après c’était un dimanche par mois ou deux dimanches par mois, il faut vérifier sur le site mais depuis septembre 2005 c’est tous les mardis à 22h.
Quel est le but de ton programme ?
Il y a toujours un but : contribuer à faire connaître la musique. Pour la danse, aujourd’hui, c’est bon. Mais la musique est finalement assez peu connue, or pour moi elle est à la hauteur du jazz , on peut mettre la salsa à côté sans problème. Depuis la rentrée, j’ai un autre objectif qui est de contribuer à faire connaître les groupes de la scène française parce qu’il y en a encore qui survivent et qui se battent mais qui n’ont quasiment aucune date de concert. L’émission est partagée en deux. Je continue de consacrer une demi-heure à un groupe pendant un mois, plutôt dans la perspective de faire connaître, faire découvrir des mecs qui sont dans la salsa et qui sont des monstres depuis 30-40 ans, et l’autre demi-heure est consacrée à la scène française où il se passe quelque chose malgré tout, malgré les maisons de disques sourdes, les producteurs absents, une absence totale de salles de concerts, des disquaires où je ne sais pas ce qu’il faut faire pour se mettre dans leurs rayons. Sachant que je ne mets que des chansons qui me plaisent. De temps en temps, je donne un petit coup de pouce à une chanson qui ne me plait pas tant que ça, mais en général c’est la musique que j’aime particulièrement.
Quelles sont tes critères, qu’est-ce qui te plait dans la salsa ?
Je ne saurais pas te dire, il y a une alchimie. Je suis plus attiré par les groupes qui héritent de la tradition new-yorkaise, Portoricaine, Colombienne, que la musique cubaine, le son, la timba, ça c’est sûr. Mais à partir de là, je reste assez ouvert. Pour moi, la salsa c’est une façon de jouer la musique. Quand la volonté est là, quand la façon de faire est là, en général, la musique suit. Mais quand, par contre, on dit qu’on va faire la musique pour telle ou telle raison, quand on commence à penser le cd en terme de "à qui je vais le vendre", déjà là, forcément, ça fonctionne moins bien. C’est un ressenti pour moi. Plus les gens se prennent la tête sur ce qui va marcher, moins la musique me plait. A l’inverse, un groupe comme la Ocho par exemple, ou Deldongo, il ne se prend pas la tête pour voir ce qui va plaire aux gens, mais c’est une autre énergie, c’est plutôt ce qu’il a envie de faire et c’est plutôt bien d’ailleurs. Je ne suis pas "sonophile", je ne suis pas hyper exigeant sur la qualité des instrumentistes qui jouent, c’est ce qui en sort qui est important pour moi. Si la musique n’a pas quelque chose à dire, je ne vois pas trop l’intérêt. Faire la quinzième chanson d’amour sur un texte qu’on a entendu quatorze fois avec un rythme de base pour coller les gens sur la piste de danse, je ne trouve pas ça intéressant. Par contre, une reprise en cha-cha-cha d’une chanson de Nougaro, ça peut être intéressant. Par exemple, une reprise de « Le Jazz et la Java » en ska et cha-cha-cha, ça peut avoir un intérêt, pour moi ça dépend de l’intention.
D’où viens-tu ?
J’ai grandi en province, mais je suis venu en région parisienne pour mes études. Je suis allé au Chili pour une coopération en 1998-1999. Je suis arrivé un peu avant que Pinochet aille en procès à Londres et reparti juste avant qu’il rentre au Chili.
Ma prise de contact avec la salsa est assez datée, c’était en 1994. Depuis quelques années, déjà, j’étais fan de la Grosse Bulle, une émission avec Ariel Wizman et Edouard Baer. Au départ, l’émission était en début d’après-midi puis elle a changé d’horaire pour passer le matin. J’écoutais tous les jours de 7h à 7h45, je mettais une cassette pour enregistrer la suite et j’allais en cours. Le soir j’écoutais le reste de l’émission. Ariel est un mec qui a fait venir énormément de musiques à Paris, il était précurseur en jungle en latin jazz et en salsa. Il était déjà dedans durant les années 80, il en passait régulièrement à la Grosse Bulle et j’ai été attentif. Il y avait déjà un phénomène de mode, il y avait des gens par-ci, par-là qui donnaient des cours de danse, il y avait Maria Esperanza, Susan Sparks qui enseignait à la Coupole, il y avait déjà quatre ou cinq profs. Dans la rubrique bons plans de l’émission pour sortir le week-end, ils ont un jour parlé d’un groupe chilien, le Théâtre Aleph, qui faisait un spectacle qui s’appelait le Club des Boléro, avec ensuite une initiation salsa et après ils passaient un peu de musique, plutôt orientation mambo. J’ai eu un coup de foudre avec eux, je suis venu un premier dimanche, un deuxième dimanche et après un mois je me suis retrouvé à faire le son pour eux.
Comment se fait-il, tu avais de l’expérience dedans ?
J’y allais tous les dimanches et j’ai vu qu’il n’y avait personne qui faisait le mixage, il y avait deux ou trois trucs à faire, appuyer sur "Play" pour les cassettes. Les acteurs se relayaient pendant qu’ils n’étaient pas sur scène et je voyais que ce n’était pas optimal. Je leur ai proposé de faire le son, puisque de toute façon je venais tous les dimanches, donc quitte à venir… Eux-mêmes faisaient les balances, et après s’il y avait des trucs à corriger, je le faisais mais en gros il n’y avait qu’à appuyer sur "Play" sur la cassette. Cela m’a donné un premier contact avec la musique afro-cubaine et afro-caribéénne en général et avec le boléro. Pour moi, le boléro c’est très important. Quelqu’un qui aime la salsa mais qui n’aime pas le boléro, je ne peux pas comprendre. C’est la seule musique qui unie toute l’Amérique latine jusqu’à New York, à Puerto Rico et Rafael Hernandez, jusqu’aux mexicains avec la nana qui a écrit "Besame Mucho", c’est la seule musique qui est vraiment écoutée partout, dans les rues dans les restaurants… J’ai découvert ça avec eux, avec entre autre la voix magique du regretté « Gato » Alquinta chanteur des mythiques Jaivas. Après l’initiation à la danse avec Aleph, je suis allé prendre des cours de danse à la rentrée suivante. A l’époque je me suis acheté le Nova Mag, il y avait un encart sur la salsa genre 240 caractères sur chacun des profs et sur papier, j’ai choisi Maria Esperanza une colombienne qui ne donne plus de cours depuis. Elle n’était pas du tout dans le trip d’aujourd’hui, les cours hyper structurés avec un niveau de progression. A l’époque elle ne nous apprenait pas forcément quelque chose de nouveau chaque semaine, il fallait répéter, répéter… Apprendre à faire un pas de base correctement sur une musique qui est tout à fait étrangère à notre culture, ça ne vient pas comme ça. Pour moi, vouloir tourner dans tous les sens après le premier cours, c’est complètement illusoire.
C’était 'quelle' salsa ?
C’était des cours de colombienne, à l’époque il n’y avait pas tellement ces prises de tête comme on a aujourd’hui. Et ça aussi a bien évolué. Il y avait des cours de danse cubaine sur de la musique cubaine. Les nanas apprenaient le "tembleque" au milieu des années 1990. Ça fait bien longtemps que je n’ai pas vu un "tembleque", en dehors de concerts de musique cubaine, je ne me souviens même plus du dernier que j’ai vu… Bref, il y a eu clairement un mouvement d’aseptisation de la danse. A l’époque, Maria Esperanza insistait à mort sur le respect de la musique, sur les breaks, sur faire attention à ce qu’on faisait. Je n’ai pas pris énormément de cours avec elle car quand j’ai commencé je me suis dit deux trucs, que je voulais un jour pouvoir danser chez des latinos sans me faire repérer comme un français au premier coup d’œil, mais pas forcément devenir le roi de la piste. Du coup, c’est rigolo car aujourd’hui je peux aller danser dans des fêtes colombiennes, mais par contre quand je vais dans une fête française, c’est pas la peine. Par exemple : « Les Etoiles » le vendredi c’est pas la peine que j’y aille. Soit, tu as le même bac + 12 Salsa que les autres gens qui sont en train de danser, soit tu ne danses pas.
Du coup, je n’ai pas pris beaucoup de cours, j’avais envie de pouvoir danser la salsa de manière transparente, de ne pas me faire repérer comme chaise sur la piste de danse. Je voulais pouvoir bouger, je voyais la danse comme un moyen de m’amuser, pas comme un but en soi. Une fois que j’ai su bouger comme je voulais, j’ai arrêté les cours.
Vous alliez dans des soirées après ?
A l’époque on allait dans des soirées colombiennes, il y en avait beaucoup et ça a pas mal changé. Il y avait la Coupole tous les mardis soirs avec souvent du live, et il y avait les Etoiles et la Java le jeudi, vendredi et samedi avec du live.
A la Coupole, ça dépendait, je ne me souviens pas trop, je n’étais pas très assidu de la Coupole. Aux Etoiles, il y a eu Yuri et les Caïman, et avec entre autres, Cuchy Almeida avec Alfredo Cutufla et des gens comme ça, y après il y avait énormément de groupes, Raul Paz, Eduardo Vals, Diego Pelaez ont fait pas mal de dates là-bas aussi, il y avait La Charanga Cutufla, la Charanga Nueva et j’en passe plein…
Aujourd’hui, j’entends moins parler des musiciens vénézuéliens, mais à l’époque tu disais qu’il y en avait beaucoup, qu’est-ce qui s’est passé ?
Il y a eu une énorme communauté de musiciens vénézuéliens à Paris. Mais les soirées ont changé. La danse a pris le pas sur la musique. Au fur et à mesure que de plus en plus des gens ont appris à danser, le phénomène s’est structuré et aseptisé. Les gens ont été un peu plus loin dans la danse, enfin on va éviter la polémique, mais ce sont des gens qui ont à un moment mis la danse avant l’envie de sortir. La danse n’était plus un moyen pour pouvoir s’amuser en soirée salsa, mais un but. C’est un truc assez générique, pour le peu que j’ai pu voir les soirées swing ou tango et autres. Dans un milieu de danseurs les gens viennent pour danser, se concentrer là-dessus, du coup ça picole moins, ça dépense moins, ça discute moins. Un groupe live quand on danse comme ça, ça fait un peu chier parce qu’il y a souvent des solos, indépendamment de la qualité du groupe, tu ne peux pas avoir un public de danseurs dans une soirée live, de danseurs dans le sens « j’ai pris cinq années de cours, etcetera ». Tu peux avoir des danseurs au sens générique, du genre je danse mais j’ai jamais pris de cours. Ça, ça marche. Le seul problème c’est que les deux publics sont incompatibles parce que le mec qui danse mais qui n’a jamais pris de cours, il voit une piste avec 10 personnes qui savent bien danser et 80 personnes qui ne savent pas danser, il va y aller et il va bien s’amuser. Il voit une piste avec une majorité de gens qui savent bien danser, il va regarder et il va trouver ça super bien, et après il y a deux solutions : soit il va prendre des cours, soit il change de soirée. A partir du moment où la danse prend suffisamment de place dans une soirée, il y a un seuil et au-delà le chiffre d’affaires tombe, du coup on ne peut plus payer de groupes, et c’est comme ça que les groupes en live ont disparus de toutes les boîtes à Paris. Il n’y a sûrement pas que ça mais c’est l’une des raisons.
Les Vénézuéliens ont disparu ou bien ?
Eduardo Valz a fini en Espagne, je crois. Cutufla et Poleo vivent encore à Paris, mais Cutufla ne joue presque plus à Paris. Le fils de Poleo joue avec Carlos « Kutimba » Esposito, qui jouait d’ailleurs à l’époque aux Etoiles et qui enseigne aussi à Arpèj et Abanico je crois.
Mais avec les salles qui sont devenus plus chères, qu’est-ce qui a changé ?
Ceux qui font vivre les concerts de salsa, ce n’est pas les deux ou trois allumés qui vont à tous les concerts. Ceux qui font vivre les concerts salsa dans une boîte : ce sont les comités d’entreprise, les enterrements de vie de jeune fille, c’est les fêtes, c’est les mecs qui se disent qu’est-ce qu’on fait ce soir – c’est les gens qui n’y vont que de temps en temps. Tant que, dans l’esprit des gens, la salsa était associée à un truc hyper festif, de musique, du live essentiellement, il y avait suffisamment de « grand public » qui allait dans ces soirées, et donc il y avait le chiffre d’affaire pour rendre ça rentable.
Mais il y avait des latinos, il devait avoir quelqu’un qui dansait ?
Des français. Des gens qui venaient pour s’amuser.
Alors les musiciens jouaient pour des gens qui ne dansaient pas ?
Les gens ne savaient pas danser. Ils bougeaient, ils se secouaient, ils dansaient le rock mayonnaise, ils s’amusaient.
On m’a dit qu’il y avait beaucoup plus de latinos avant dans les soirées ?
Les latinos dans les soirées je pense que ça doit remonter carrément avant. Ils ne se mélangent pas tant que ça avec les Français. Ils n’aiment pas les mêmes choses. Ils sortent pour s’amuser, il leur faut une table où ils peuvent s’asseoir avec une bouteille de whisky ou une bouteille de rhum, ils n’ont pas besoin juste d’un verre d’eau et de la consommation de l’entrée. Ce n’est pas le même monde. Et puis c’est une autre façon d’écouter la musique. Moi, je vois bien aujourd’hui, mon assistante prend un cours de salsa avec le Comité d’Entreprise. Avant les CE emmenaient les gens dans les soirées salsa, aujourd’hui les gens prennent des cours de salsa avec leurs CE. Elle n’achètera jamais un cd, elle n’ira jamais dans un concert de salsa, mais par contre elle a acheté le DVD du prof. Et quand elle en aura marre de la salsa, elle passera à une autre danse. On est vraiment sur un modèle différent. Aujourd’hui pour le grand public la salsa c’est une danse. L’association d’idées quand tu dis salsa, c’est cours de danse, c’est « j’ai appris » ou « c’est compliqué ». Ce n’est plus "Ah ouais ! La salsa c’est la grosse teuf, on va s’amuser, on va boire, on va voir des musiciens ". Je pense que c’est vraiment le facteur qui fait qu’aujourd’hui nous avons moins de concerts. En décembre il y avait des concerts à la guinguette pirate, qui est un lieu super, des concerts à 10 euros, bonne ambiance, et c’était pas plein ! C’est extrêmement difficile aujourd’hui de mobiliser les gens pour un concert salsa.
Mais pourtant, Issac Delgado à la Galerie, il y avait facilement 800 personnes, et pour Cuco Valoy au Bataclan, c’était bien rempli aussi.
Mais il s’agit là de grands concerts exceptionnels, il faut savoir qu’avant, il y avait deux concerts par semaine, et maintenant, il y en a deux par mois et encore. L’organisation des concerts salsa, les producteurs des concerts salsa, n’ont pas toujours été irréprochables. A partir d’un certain moment, les gens ont commencé à dire, bon alors si le concert coûte hyper cher, et qu’il démarre avec 2 heures de retard avec un son pourri c’est pas pour moi… Les promoteurs ont certainement eux aussi un part de responsabilité.
Pour revenir à toi, quelle était l’étape après que tu ais pris des cours de danse en 1994 ?
Un soir, le DJ des Etoiles m’a demandé de le remplacer. Il m’a donné deux cassettes, un CD, et pas de casque.
C’était quoi les cassettes ? C’étaient des mix ?
C’étaient des mix de salsa, du merengue. Je me suis battu avec le CD : Historia Musical du Grupo Niche, c’est vraiment un bon cd, je l’ai passé en intégralité, en coupant avec les cassettes.
En ce moment-là les DJs étaient toujours en haut ?
Non, ce jour-là j’étais en bas. Ensuite, les DJs étaient en haut. Quand ce DJ et Maurice se sont séparés, Maurice a fait appel à deux ou trois personnes qu’il connaissait, dont moi parce qu’il savait que je passais la musique pour Aleph, et que je l’avais remplacé une fois. La première fois je devais avoir 20 ou 30 CDs, principalement des grands hits qui avaient été joués par les groupes que j’avais entendus aux Etoiles. De mes débuts, je ne suis pas très fier. (sourires)
A quel moment as-tu commencé à collectionner des disques ?
Depuis que je suis tombé dedans, j’ai toujours acheté des CDs, mais je ne suis absolument pas collectionneur, j’en suis absolument sûr aujourd’hui car je connais quelques collectionneurs. Personnellement, je ne vais pas mettre deux mille balles dans un vinyle. En fait, dès que j’ai commencé à prendre des cours, j’ai commencé à acheter des CDs. Je demandais chaque fois que j’écoutais une chanson quel était le titre et j’allais à la Fnac, entre autres, pour acheter des cds.
Il y avait des CDs salsa à la Fnac à l’époque ?
Il y avait des trucs. Je me souviens notamment une fois, il y avait deux groupes qui jouaient un morceau qui s’appelle Palo Pa’ Rumba, avec deux versions complètement différentes, une en charanga, et l’autre en salsa. J’ai demandé les références, et j’en ai eu deux, une par Eddie Palmieri, l’autre par la Orquesta Aragon. Je suis allé dans une Fnac et j’ai demandé au vendeur : « je cherche une chanson, je ne sais pas si elle est de Palmieri ou de la Aragon » et le vendeur de la Fnac m’a répondu « les deux », il m’a amené les deux disques, et j’ai acheté les deux. J’ai toujours acheté des disques…
J’ai commencé à mettre de la musique en 1995, 1996, et j’ai rencontré un type qui s’appelait Federico, il mettait lui aussi la musique aux Etoiles, il m’a fait découvrir énormément de choses dans la musique et notamment la musique colombienne. Il était marié avec une Colombienne et il connaissait bien ces soirées, c’est lui qui m’y a emmené, il m’a fait découvrir surtout la façon dont les Colombiens écoutent la musique.
C’est quoi ?
C’est complètement ouvert.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Si tu vas à Puerto Rico de manière générale les gens vont connaître trois ou quatre noms de groupes cubains, un nom de groupe de colombien maximum et autrement ils écoutent leur salsa. En Colombie, ils écoutent tout, et ils n’oublient rien. C’est simple. Il y a toutes les salsas, colombienne, portoricaine, romantique, new-yorkais, du vieux, du récent, de la Cubaine, de la Vénézuélienne, de la dura, de la merde, de la cumbia, du merengue, et ils n’oublient rien. Il y a carrément un style qui est né à Cali qui s’appelle la viejoteca, c’est des boîtes où ils ne passent que des chansons qui ont plus de cinq ans. Pour la musique, c’est un pays impressionnant.
Est-ce que tu y as voyagé ?
Non, pas encore. C’est un peu compliqué, il faut y aller avec des gens. Quand j’étais au Chili en tant que coopérant, j’avais envie d’y aller, mais c’était la seule destination où on n’avait pas le droit d’aller.
Et qu’est-ce que tu faisais là-bas au Chili ?
Je travaillais dans une boîte d’assurance. Je faisais les tarifs, les propositions, les calculs de réassurance, les rentes viagères, tout ça.
Et tu parlais déjà espagnol à l’époque ?
Je parle espagnol depuis longtemps, car mes grands-parents avaient une maison en Espagne, donc je l’ai pris en deuxième langue, et arrivé au lycée je l’ai pris en première langue. Depuis que j‘écoute dela salsa, je pratique l’espagnol tous les jours. Soit en écoutant, soit j’ai un pote latino qui m’appelle, soit je lis un truc sur un artiste dans un journal ou sur Internet, peu à peu je suis devenu bilingue. C’est une langue que j’aime.
Et Buscasalsa est aussi bilingue, espagnol et français.
En fait j’avais d’abord créé un site à la fin des années 90, qui s’appelait Salsaresources, qui référençait plein de liens, surtout à l’époque il n’y avait pas Google, j’ai essayé de référencer pour aider les gens à rechercher des trucs sur des artistes, et c’était écrit en trois langues, espagnol, français et anglais. Il y a trois ou quatre ans, je me suis dit, il est temps de faire un vrai site sérieux.
Buscasalsa est né quand ?
Il y a quatre ans, je ne sais plus trop. J’avais envie de faire un site, et j’avais besoin d’un hébergeur. Vu, de Salsafuriosa, m’a présenté à son hébergeur, cinq minutes plus tard j’avais un hébergeur et dix minutes plus tard j’avais un « .com », je ne sais plus trop pourquoi j’ai pris Buscasalsa. C’était toujours la même idée de chercher la salsa, de rechercher pour essayer de comprendre. Il m’avait parlé des portails de gestion de contenu, dont SPIP qui est un portail de gestion conçu pour permettre le suivi éditorial il est utilisé aussi par SalsaFrance. Donc, Buscasalsa est écrit en SPIP. Au début, j’avais repris les deux articles que j’avais écrits pour l’autre site, un truc sur l’El Gran Combo, deux ou trois choses. Maintenant je ne suis plus seul à travailler, il y a Chabelita qui fait plus de la moitié du boulot pour la gestion et l’administration du site. BuscaSalsa c’est principalement deux personnes, Chabelita et moi. Il y a ensuite deux ou trois autres personnes qui aident plus ou moins régulièrement.
Comment sont venus les gens ?
C’était des gens que j’avais connus par le forum. Le forum d’avant sur Yahoo, (forum SalsaFrance), Forum sur lequel il y eut des bastons mémorables...
A quel sujet ?
Je crois que j’étais déjà à l’époque un peu radical sur la danse. Je n’ai plus du tout le même discours, mais je suis devenu plus radical (sourires). Il y avait des trucs que je n’avais pas bien compris, j’avais l’impression que les gens se prenaient la tête et qu’ils ne s’amusaient pas parce qu’ils apprenaient à danser. C’est complètement faux. Ils ne se prennent pas la tête, ils sont dans le truc qu’ils aiment et ils y trouvent du plaisir. Simplement, cette conception de la salsa et des soirées salsa est complètement à l’opposé de tout ce que j’aime dans cette musique. C’est un problème personnel. Ce monde-là a pris la place dans le grand public, remplacé l’image de « on s’éclate, on s’amuse sans savoir danser ». C’est pour moi un vrai problème, parce qu’aujourd’hui si on veut lutter pour de nouveaux groupes, si on veut vendre des disques, si on veut amener les gens à voir des concerts, il faut rebâtir dans le grand public l’idée qu’il n’y a pas besoin d’un Bac + 12 salsa pour aller s’amuser en soirée salsa.
J’ai mis très longtemps à accepter, à comprendre qu’il y avait deux mondes différents. Et le fait que ces deux mondes se réclament de la salsa ne voulait pas dire que c’était la même chose. Il y a dix ans quand tu allais dans un moteur de recherche, si tu tapais ‘salsa’ tu arrivais dans des liens pour la cuisine. Si tu mettais ‘salsa moins cuisine’, tu tombais dans des trucs de musique. Aujourd’hui, si tu fais une recherche ‘salsa’, le premier truc que tu trouve c’est un truc de la danse. Tout ce phénomène est daté, pour moi cela à commencé en 1997 avec le premier congrès de danse à Puerto Rico. A l’époque, c’était le Congreso Bacardi de la Salsa ou un truc comme ça. Je suis allé au troisième en 1999, j’étais au Chili et j’avais pris une semaine de vacances avec l’idée de voir enfin des vrais concerts avec des latinos, et ça c’est révélé une épreuve extrêmement difficile.
Ah oui ! Je suis arrivé, j’ai pris mon full pass et deux heures plus tard je me suis demandé ce que je foutais sur place. Un moment, je me suis demandé si je n’allais pas passer le reste de la semaine à visiter l’île parce que je me suis demandé vraiment ce que je faisais là-bas . C’était la grande époque du débat mondial sur le 2 et le 1. J’ai invité une nana à danser et elle m’a planté au bout de trois secondes me disant « Désolée, je danse sur le deux ». Finalement, j’ai été sauvé par des japonaises, je n’ai dansé quasiment qu’avec des japonaises. Et des gens du monde entier ont par la suite ramenée cette idée de la danse chez eux. Ensuite, il y a eu scission, et un congrès concurrent s’est créé à LA. Ce qui a entraîné, forcément une réplique sur la côte est. L’année suivante en Argentine, il y avait un congrès de salsa, et ça a enchaîné dans le monde entier. Derrière ça, il y a tous les cours qui arrivent avec ce marketing-là, ce formatage là et puis pour danser la salsa il faut connaître le 1 et le 2 New York, le 2 palladium, le trois j’sais plus quoi, et si tu n’es pas dans la bonne école tu n’as pas appris à danser… Bref sur place, heureusement, il y avait aussi des concerts, El Gran Combo et la Sonora Poncena, tous les grands groupes. Et justement un autre truc qui m’a choqué, il y avait 2000 personnes qui étaient là au concert, il n’y en avait que 150 à 200 qui étaient attentifs au concert, et les autres 1.800 étaient là pour jouer à qui danse le mieux, ils venaient au congrès pour se faire un carnet d’adresse, pour remplir un carnet de commande alors les concerts… Ca me choquait d’être là devant de si grands artistes, Pappo Lucca, Cano Estremera, Willie Rosario, de voir tout un tas de monstres, et que les mecs n’en avaient rien à foutre. En plus, je m’attendais à prendre une claque musicale énorme, mais je me suis rendu compte a posteriori que ce ne fut pas si énorme que ça. Je m’en suis rendu compte quand quelques années plus tard, j’ai assisté au Dia nacional de la salsa, un concert devant 50.000 personnes en plein air, les mecs arrivent, cognent la campana, bougent dans tous les sens. Bizarrement, là, j’ai pu danser…
Je pense que dans tous les pays et pour la plupart des danses, il y a deux milieux, un côté plus populaire et l’autre académique. Sans être péjoratif ni pour l’un ni pour l’autre, mais il ne faut pas venir m’expliquer que le monde académique est le même que le populaire, parce que ce n’est pas vrai. Ce sont deux façons de concevoir la musique, deux façons de s’amuser, qui n’ont en commun que le nom que l’on colle à la musique qu’ils écoutent tous les deux. C’est arrivé en France avec Cliford en 1998, mais si ce n’était pas lui, cela aurait été un autre. Aujourd’hui, le résultat, est là : si je dis à quelqu’un qui « commence » la salsa en auvergne que j’aime bien la salsa, on me répond du tac au tac « tu danse la Cubaine ou la Portoricaine ! ». Or quand je rencontre quelqu’un qui me dit aimer la salsa, ce qui est primordial pour moi c’est de connaître ses goûts musicaux, qu’est ce qu’il aime, qu’est ce que l’on peut partage…
Mais peut-être que la personne a appris à danser sur la Cubaine ou sur la Portoricaine, donc c’est ce qu’ils connaissent ?
Ce n’est pas ça le problème, le problème c’est qu’aujourd’hui, dès que tu mets un petit doigt dans la salsa, on commence par te dire, c’est un cours de Portoricaine, c’est un cours de Cubaine, un cours de machin… à mon avis, on devrait commencer par des cours d’écoute, pour apprendre un pas de base quelconque, un deux trois quatre, pas de base quoi. Tu peux t’amuser avec deux pas de base en salsa et respecter la musique. Aujourd’hui, ce n’est pas ça. Pourquoi cette ségrégation ?
En 1998, je mettais encore un peu de musique aux Etoiles, et à cette époque là je me souviens d’une conversation avec un ami disquaire. Nous avions l’impression que la salsa commençait à retomber. Nous avions tort et raison à la fois. Tort parce que pour les cours, cela a complètement explosé par la suite. Raison, parce que 1998, c’était l’arrivée de la Portoricaine à Paris, le monde de fêtes que nous avions connu s’est fait complètement effacer par le monde des cours danse, un monde pour le coup extrêmement orienté pognon, part de marché, business, etc. Derrière le copinage de façade, les profs de danse se livrent une guerre sans merci parce qu’il s’agit des parts de marché. Ca me fait mourir de rire quand tu vois des écoles de danse à l’origine salsa qui font aujourd’hui du reggaeton, du merengue, de la bachata, des formations pour les formateurs… c’est un business.
C’était quand l’époque dorée des concerts, pour toi ?
A Paris, je pense que je suis arrivé à la fin de l’époque dorée. A la fin des années 1990, il y avait des concerts partout, des musiciens du New Morning après les concerts venaient taper le boeuf avec les musiciens des Etoiles jusqu’au petit matin. Ça a duré en gros jusqu’à la fin de 1998… Et puis, dans les fêtes colombiennes il y a eu des problèmes d’organisation, beaucoup de lieux ont disparus, que ça soit l’Orée du Bois, Voltaire, la Diferente, qui était pour moi la meilleure boîte de Paris, Juan Carlos, qui a une collection énorme, y passait la meilleure musique que j’ai jamais écoutée. Chaque fois, j’y allais avec un bloc-notes et je partais avec une liste de chansons à acheter.
Où est-ce que tu achetais de la musique à l’époque ?
On en trouvait un peu dans les Fnacs et Virgins à l’époque, et il y avait aussi Cumbia avec Franck, où on pouvait commander, rue du Cherche Midi, il allait régulièrement à New York pour ramener des disques. Il y avait la Tienda. J’allais régulièrement dans les magasins comme Crocodisc…
Mais aujourd’hui qu’est ce qui en reste ?
Crocodisc, qui a un petit rayon, des boutiques africaines/zouk/merengue qui font aussi un peu de salsa, Jussieu musique et son rayon occasion … Mais la dernière fois que j’étais à la Fnac, j’ai trouvé du reggaeton dans le rayon salsa…
Quel est ton avis par rapport au reggaeton ?
Le reggaeton est la musique qu’écoutent les jeunes aujourd’hui à Puerto Rico, et dans la plupart des capitales latines. La salsa était la voix d’expression pour la jeunesse dans les années 60-70. Les deux n’ont rien à voir, si ce n’est ce rôle : la voix par laquelle s’exprime les jeunes, en ce sens le reggaeton a succédé à la salsa, mais musicalement, rien à voir.
Est-ce que le reggaeton aura la même durée que la salsa ?
Je n’en sais rien. La salsa continue, il restera toujours deux ou trois personnes qui feront des disques dans leur coin. Le reggaeton c’est un rythme bien précis… la salsa ce n’est pas un rythme, c’est une façon de jouer de la musique. Maintenant quand on a écouté Rubén Blades, le reggaeton ça fait un peu de la peine. Bref, aujourd’hui c’est ce qui fait bouger la jeunesse je n’en sais pas plus.
Les rythmes t’inspirent quelque chose ?
J’ai acheté le premier album de Tego Calderon, je l’ai trouvé vraiment intéressant. Rien depuis.
Avant la salsa, qu’est-ce que tu écoutais ?
Cure. J’étais un énorme fan de Cure. Mon dernier concert avant la salsa c’était un concert de Cure au Zénith. J’écoutais Cure, les Stones, les Beatles, Led Zep, Nougaro, Renaud, vraiment pas mal de trucs. Jimmy Hendrix… plutôt 70 que 80, 90.
Est-ce que tu écoutes toujours ?
Aujourd’hui je n’écoute plus la musique, je n’ai pas le temps. Je n’écoute que les trucs dont j’ai besoin pour mon émission. Quand je prépare une émission sur un artiste, j’essaye de réécouter toute sa musique et je n’écoute quasiment que ça. J’aime aussi le vallenato, la cumbia, des musiques traditionnelles colombiennes, le boléro, une des musiques que je préfère au monde.
As-tu joué un instrument ?
Non, j’ai fait de la musique dans d’autres vies, la musique c’est un truc très ingrat et j’ai appris bien trop tard qu’il fallait travailler dur pour y arriver. J’ai fait du piano pendant des années mais je suis nul. Ensuite j’ai joué de l’harmonica, idem, je savais à peine jouer une mélodie écrite et j’étais incapable de tirer des notes. Je jouais un harmonica chromatique, avec un copain qui jouait de la guitare sèche, et chantait, et on massacrait les Cure comme ça. C’était intéressant (rires). Après, j’ai joué un peu de guitare, et c’était pareil. C’était bien pour la fête de la musique. Ce n’est pas essentiel de bien jouer pour la fête de la musique, l’important c’est de se balader avec sa guitare… , j’ai une campana, un güiro, on ne peut pas tout faire, et je n’ai pas le temps mais j’aimerais bien.
En 1998, tu disais que tu trouvais la salsa était finie ?
On voyait le phénomène : de moins en moins de bonnes soirées avec des groupes. On voyait que les gens sortaient moins, s’amusaient moins. C’est ce que je dis aujourd’hui parce que j’ai compris ce qui s’est passé. A l’époque on ne savait pas bien ce qui se passait, mais on avait l’impression de vivre la fin de quelque chose.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je ne me pose plus de questions. J’essaie de faire ce que peux pour soutenir les petits groupes français, pour faire une petite chose concrète histoire de croire que ça sert à quelque chose de faire une émission de radio. J’essaie de passer un message à travers la musique dans les émissions, à travers le site…On n’enterre pas un malade avant sa mort, on se bat. Je prends moins la tête aux gens, je suis beaucoup moins asocial que je n’étais à l’époque. La salsa, c’est clair, ça rend nettement moins social…
Cela rend asocial ?
Oui, quand tu tombes dedans, tu ne fais que ça. Tu fais un ou deux cours par semaine, tu sors trois ou quatre fois par semaine, 90 pourcent de tes amis font ça aussi, c’est communautaire pour ne pas dire sectaire. Même à l’époque, durant mes premiers mois au Chili, le coopérant précédent m’a accueilli, il m’a présenté des gens, mais j’avais très vite repéré les lieux salsa qui me plaisaient, et j’étais asocial… Je pouvais accepter une invitation à dîner, à une fête, mais à une heure du matin au plus tard, tchao je vais danser…. Je sortais tous les jeudis, vendredis, samedis pour danser ou pour mixer. J’ai fait quelques remplacements pour mixer à Santiago, à l’époque je trimballais une grosse mallette, j’avais vingt kilos de musique avec moi en permanence. J’essaie de faire autre chose aujourd’hui, aller au cinéma ou théâtre, je ne fais pas que des soirées salsa.
Qu’est-ce que tu vois comme futur ?
Je ne me pose pas la question. Je vois qu’il y a des groupes comme la Ocho y Media qui se battent, je vois qu’entre décembre et janvier il y a 5-6 disques par des groupes salsa française qui sont sortis, autoproduits pour la plupart avec zéro financement dans des conditions hallucinantes, mais voilà, il y a Deldongo qui est parti jouer à la feria de Cali, c’est le premier français qui est parti jouer là-bas et ça c’est super bien passé. Une chanson de la Ocho a été primée à Cali. Il y a Zumbao de Marseille avec trois démos qui sont monstrueuses, et ils ont aussi des contacts en Colombie parce que là-bas ils sont intéressés, donc il y a encore des groupes qui jouent. Le plus grand paradoxe dans tout ça, et c’est ça qui me fait le plus de peine, c’est qu’au début des années 90 très peu des musiciens à Paris jouaient cette musique. Il y a pas mal de musiciens de jazz qui ont senti l’opportunité et se sont reconvertis en salsa, parce qu’à l’époque il y avait pas mal de musiciens qui gagnaient un peu d’argent avec ça. Mais le vrai paradoxe c’est qu’aujourd’hui alors qu’il y a Abanico et Arpej qui font des formations importantes, et il y a un lot hallucinant des musiciens qui ont une formation assez solide techniquement, qui sont vraiment au point pour jouer cette musique, et il n’y a plus de concerts.
Il ne faut pas chercher à comprendre, il faut arrêter de se prendre la tête, il faut bosser, il faut répéter, il faut composer, il faut essayer de produire ses disques, parce qu’aujourd’hui on peut faire son propre disque beaucoup plus facilement qu’avant, on peut distribuer et se faire connaître hyper facilement par Internet. Le futur passe par-là, se faire connaître pour pouvoir ensuite vendre des concerts.
Ce que j’aime bien dans la salsa est son aspect communicatif, et dans les concerts il y a l' échange entre les artistes et leur public ; dans le monde que tu décris, tout le monde tourné vers l’intérieur, c’est très individualiste, un artiste joue devant un micro et non pas devant un public ?
Ils enregistrent, et le public peut les écouter sur Internet. Dans toutes les musiques aujourd’hui si on regarde les derniers groupes qui sortent en pop ou rock anglais ou américain, les derniers groupes qui sont sortis et qui cartonnent, c’est des groupes qui se sont fait connaître en laissant librement télécharger leurs morceaux sur internet. Je pense que les musiciens français ont une révolution à faire, c’est à dire comprendre que, l’histoire de la SACEM et de déposer les chansons et se prendre la tête avec ça, je pense qu’ils ont un peu tort… La seule chance que la scène a de revenir, de retrouver un intérêt pour cette musique est de faire connaître ses chansons. Pour Latina il est extrêmement rare qu’ils passent les chansons de Cutufla, je suis bien placé pour le savoir. Il n’y a pas une autre radio en France pour les passer. La seule solution c’est de se faire connaître et pour se faire connaître il n’y a que les concerts et l’Internet, il faut passer par-là. C’est ça qui me donne un peu d’espoir car il y a encore un peu de groupes qui sortent des disques malgré tout. Mais ça me fait de la peine d’entendre des musiciens qui ont 20 ans de métier dire « je suis au RMI, je me demande si je dois changer de métier ». C’est pour ça que je continue de me battre.
Toi qui as démarré la salsa par la danse avec Maria Esperanza, si tu pouvais imaginer l’enseignement de la danse, est-ce que cela aurait été possible pour l’enseignement de continuer, de s’épanouir sans passer par cette professionnalisation ou l’académisation que tu décris ? Ce n’était-il pas obligé ?
Il fallait avoir une réflexion pédagogique, et une adaptation vers les clients, fournir aux clients ce qu’ils voulaient, et non pas à enseigner une passion. Maria Esperanza partageait une passion. Les gens qui venaient à ses cours n’en avaient rien à foutre, ils venaient pour apprendre à danser, ils venaient pour en avoir pour leur argent, c’est bien un truc de chez nous et apprendre quelque chose de nouveau chaque semaine. Je fais le parallèle avec les arts martiaux pour ça, si tu es avec un maître qui est sérieux, tu ne vas pas apprendre forcément quelque chose de nouveau chaque semaine. Tu vas passer deux heures de cours à répéter le même mouvement, jusqu’à ce que tu l’aies maîtrisé. J’ai fait des arts martiaux avant de faire de la salsa. Pour moi, la danse c’est pareil, en ce sens que c’est une expression corporelle extrêmement exigeante. Donc, tous ceux qui apprennent et qui vont vraiment loin, ils répètent et répètent et s’ils vont vraiment loin ils n’apprennent pas chaque semaine une nouvelle passe. Pour les danseurs au niveau professionnel, il n’y a pas la place pour autre chose dans leur vie.
Or c’est tellement dans la mentalité occidentale et la mentalité globalisation dominante d’avoir un truc bien structuré, d’apprendre un truc nouveau chaque semaine car c’est comme ça que tu as l’impression d’en avoir pour ton argent et / ou c’est la seule façon de ne pas s’ennuyer…C’est tellement dans la logique commerciale de la société d’aujourd’hui…
Donc les professeurs ont suivi la demande des gens qui venaient aux cours de danse ?
Bien sûr ! Ils ne pouvaient pas faire autrement. Pendant longtemps j’ai dit que c’était de leur faute, qu’ils auraient dû apprendre aux gens à écouter la musique, partager ça, mais ce n’est pas de leur faute. Les gens n’en avaient rien à foutre, ils venaient pour danser. Ils venaient pour en avoir pour leur argent. Les profs devaient aussi en vivre. La suite n’est qu’une conséquence logique.
Comment la salsa, une musique étrangère à la France, aurait pu venir ici s’implanter ?
Comme elle a fait partout, c’est une danse à deux, au début dans l’esprit des gens c’était associé à la fête, c’était une musique qui est rigolote, ça faisait penser aux tropiques, à des images de Cuba tout à fait à côté de la plaque… Aujourd’hui quand tu parles à quelqu’un dans la rue, l’image qu’il a dans la tête c’est une image de danse. Il y a aussi un autre truc. Il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui s’intéressent à la salsa comme à une musique élitiste, comme des spécialistes de musique classique ou des fans de jazz pointus… parce que la salsa est une musique quasi morte. Ce n’est pas parce qu’il y a quelques groupes qui sortent encore des disques qu’elle est encore vivante. Pour moi, les disques comme ceux de Los Soneros del Barrio et Spanish Harlem Orchestra, c’est la mort de la salsa. Le problème n’est pas que ce soit des disques de reprises, c’est que leurs reprises n’apportent rien. La salsa est une musique de reprises, elle s’est construite là-dessus. La moitié des grands tubes de la Fania des années 70 sont des reprises des chansons cubaines des années 30-40. Mais pas seulement, les gens apportaient des arrangements nouveaux. Spanish Harlem, quand tu les écoutes, ce sont des musiciens fabuleux, mais ils n’ont rien à dire.
Oscar Hernandez, quand tu regardes sa carrière, au début…
C’est un monstre. Mais aujourd’hui, ils ont formaté leur produit, et ça marche en tant que produit formaté.
Je les ai vus à San Francisco, et l’ai trouvé tellement maîtrisé sur scène, chaque moment, chaque instrument était sous son emprise. Il n’y a jamais un moment de relâche.
Je ne sais pas si c’est sa personnalité ou le projet. Après ça ne veut rien dire… Moi, Mercadonegro en concert, ça me fait suer. J’ai des copains musiciens qui hallucinent devant leur performance artistique et musicale, mais ça ne me parle pas. Ca fait trois fois de suite que je voie Mercadonegro, et c’est bon. J’ai compris. Je préfère un groupe qui n’est pas super bien en place mais qui a des trucs à dire. Eux, ils s’éclatent, mais ils n’ont rien à me dire. Leur chanteur, il peut chanter en anglais, espagnol, allemand, il chanterait pareil.
Soneros del Barrio, ils se lâchent un peu plus, Frankie Vazquez il est plus de la rue, mais idem… c’est bien les reprises bien jouées quasi comme à l’époque mais si ce n’est pas pour apporter quelque chose d’original... Aujourd’hui, si j’ai envie d’écouter l’original, je peux le trouver chez un copain ou le commander sur internet.
Sans compter que quand on écoute les paroles sans savoir d’où ça vient, on commence à oublier des choses. Salsa y Control, des Lebron, est un texte très con : « salsa y control salsa y control, la gente pide salsa y control », à l’écouter, on penserait que c’est une chanson débile avec des paroles débiles. Effectivement, quand c’est repris par nos amis japonais, sur le label RMM, un label un peu vide, ça n’a rien à dire, c’est à chier. Mais les Lebron, quand ils ont fait ce morceau, il faut savoir qu’à l’époque, dire que les gens demandait le contrôle, c’était hyper politisé, et la chanson a été censurée. Et ça on a tendance à l’oublier, la musique s’est construite dessus. La plupart des groupes « callejero » pour reprendre l’expression de José el Loco avaient des trucs à dire. Ces gens là avaient la rage, ils avaient la même rage pour sortir de là où ils étaient, que celle que l’on trouve aujourd’hui dans d’autres musiques, qu’on trouve dans le rap. Et la salsa est aussi née de ça, quand on réduit la salsa à « la salsa est née à Cuba », ce n’est pas vrai, la salsa est née à New York dans la rue, c’était une musique d’exilés, des exilés loin de leur terre, qui devaient partager une culture différente. Ce contexte socio économique a disparu. Donc, la salsa des années 70 n’existe plus et ne reviendra jamais. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire autre chose, mais il n’y aura plus ce phénomène.
Mais politiquement, ça continue. Aux Etats-Unis, la population latino est de plus en plus importante.
Ils s’expriment en d’autres langues, d’autres musiques : en rap, en reggaeton. Il faut de l’espoir pour changer les choses. Le reggaeton est plus centré sur d’autres sujets, et moins sur l’espoir. On vit dans un monde où il y a moins de perspective qu’à la sortie de 68...
(La suite de l'entretien, dans une prochaine édition...)
yes man, bien parlé ! merci pour tout !
un ochosero masqué...
Rédigé par : ochosero masqué | 16/05/2008 à 21:11